Compte-rendu d’exposition : Où sont les femmes ? Enquête sur les artistes femmes du musée
Du 20 octobre 2023 au 11 mars 2024 s’est déroulée l’exposition "Où sont les femmes ? Enquête sur les artistes femmes du musée", au Palais des Beaux-Arts de Lille. Exemple remarquable parmi toutes les expositions d’artistes femmes en France, en voici un compte-rendu.
Article écrit par Louise Delarue
Plusieurs expositions consacrées à des artistes femmes ces dernières années, comme Peintres femmes, naissance d’un combat (1780-1830)[1] , Pionnières. Artistes dans le Paris des Années Folles[2] ou Artistes voyageuses, l’appel des lointains (1880-1944)[3] se focalisent sur l’aspect « pionnier » des femmes voulant s’imposer dans le monde de l’art. Le problème est qu’elles ne prennent pas en compte l’entièreté de la réalité sociale de ces artistes, et ne les incluent pas dans leurs réseaux personnels et professionnels. Concernant Peintres femmes, l’exposition se résume à un accrochage de tableaux de femmes jugés esthétiques, accompagnés de textes de salles qui nous informent seulement sur les carrières individuelles de chaque artiste, sans lien entre elles. Il manque par exemple des documents d’archives pour comprendre le contexte dans lequel vivent ces artistes et pour mettre en parallèle leurs parcours.
Néanmoins, ce n’est pas ce que fait Où sont les femmes ? Enquête sur les artistes femmes du musée, au Palais des Beaux-Arts de Lille (PBA) du 20 octobre 2023 au 11 mars 2024. Alice Fleury, directrice de la conservation et chargée du département 20ème siècle du PBA, et Camille Belvèze, conservatrice du patrimoine et doctorante en histoire de l’art, ont conçu l’exposition exclusivement avec des œuvres issues des réserves du PBA.
Cette exposition se déroule en trois temps. La première section aborde l’éducation artistique des femmes. La deuxième partie se contre sur les différents genres artistiques pratiqués par les artistes femmes. Enfin, la troisième partie nous fait part des stratégies adoptées par les artistes femmes pour se faire une place et une carrière dans le monde sexiste de l’art.
Contrairement à d’autres expositions présentant plusieurs artistes, son déroulement n’est pas chronologique et encyclopédique, mais thématique et argumenté, replaçant les artistes dans leurs contextes historiques et leurs réseaux en évoquant par exemple l’Union des Femmes Peintres et Sculpteurs.
Certaines des œuvres de femmes sorties des réserves du PBA vont ensuite rejoindre le parcours permanent du musée. Cela nous prouve que le PBA ne prétend pas revendiquer un féminisme de façade, comme d’autres institutions faisant preuve de feminism washing, mais agit concrètement en faveur des artistes femmes. Il nous reste à espérer qu’un nombre significatif de ces œuvres ne retourne pas en réserve. Enfin, en terme du contenu textuel de l’exposition, les commissaires osent indiquer aux publics les manques d’informations concernant certaines artistes, comme dans le cartel de la Châtelaine du 13e siècle de Valérie Gautier où elles nous disent qu’ « On dispose de peu d’éléments biographiques sur Valérie Gautier. On sait seulement que cette lilloise se forme auprès de Louis-Victor Bougron […] ». Le choix de leurs expôts est également riche, les commissaires ont sélectionné plusieurs œuvres réalisées avec des techniques variées comme l’ivoire gravé ou la gouache sur soie, sans se limiter à l’huile sur toile. Enfin, elles ont sélectionnés plusieurs sculptures pour rompre avec ce préjugé du 19ème siècle selon lequel les femmes ne sculptent pas. Elles exposent notamment le Buste autoportrait de Marguerite Cousinet, qui est un choix judicieux, car très peu de sculptrices ont réalisé des autoportraits dans l’histoire de l’art, comparé aux peintresses[4].
Néanmoins, un point négatif subsiste. Au sein du parcours, dans la première partie de l’exposition consacrée à l’éducation artistique des artistes, un Autoportrait de Pharaon de Winter est exposé à côté de Méditations de Jane-Agnès Chauleur-Ozeel qui était son élève. Il est regrettable d’avoir exposé cet autoportrait masculin qui n’apporte pas grand chose au propos de l’exposition. En effet, sur le cartel de l’œuvre n’est évoqué que la méthode d’apprentissage de De Winter, qui suivait l’enseignement académique traditionnel, et le réalisme austère de l’Autoportrait, sans aucun lien avec son élève Chauleur-Ozeel. A la place, les commissaires auraient pû accrocher une autre œuvre d’artiste femme.
Au niveau de la scénographie, le mobilier épuré et le duo de couleurs blanc et violet en font une réussite. Enfin, le fait d’avoir réalisé le parcours dans des couloirs de l’exposition permanente permet d’inclure les œuvres d’artistes femmes, qui restent groupées entre elles, au sein des œuvres d’artistes hommes.
Pour terminer, il faut remarquer la qualité du catalogue[5] de l’exposition. D’abord, il présente toutes les notices et les images des œuvres de l’exposition. Il nous livre en plus les œuvres de femmes artistes accrochées dans le parcours permanent du PBA. Ensuite, il contient un article des commissaires, qui ont judicieusement fait appel à Eva Belgherbi, doctorante réalisant une thèse sur l’enseignement de la sculpture aux femmes, en France et au Royaume-Uni entre 1863-1914, pour rédiger un second article intitulé « Sur les cimaises, sur le papier. A la recherche des femmes artistes retrouvées ». Enfin, ce qui est le plus remarquable dans ce catalogue, c’est que les commissaires ont pris le temps de répertorier, à la fin, les œuvres de femmes conservées par le BPA qui n’ont pas été accrochées dans l’exposition. Le PBA conserve bien moins d’œuvres d’artistes femmes que d’hommes : 108 œuvres de femmes exposées dans l’exposition permanente et dans l’exposition temporaire en ce moment, 27 œuvres de femmes en réserve selon le catalogue, et 6474 œuvres référencées dans le catalogue du PBA en ligne. Il faut espérer qu’un jour la politique d’acquisition et de restauration du PBA évolue vers une démarche plus féministe[6] et que l’accrochage le devienne lui aussi, avec sur ses murs 50% d’œuvres de femmes et 50% d’œuvres d’hommes[7].
Concluons sur cette citation d’un article de Eva Belgherbi qui résume à elle seule la situation actuelle : “[En 2024], se demander OÙ sont les femmes artistes est devenu un poncif, une formule dépassée : elles sont dans les réserves. Cette question étant résolue, l’important est de savoir maintenant ce que le musée peut/veut faire de ces œuvres [...]. Les musées français [...] ont l’occasion d’être porteurs de projets mettant en valeur la diversité et l’intérêt des artistes présentes dans leurs collections”[8].
Les artistes femmes sont présentes dans les musées, mais elles ont été volontairement cachées. Aujourd’hui, de nombreuses expositions temporaires nous les font (re)découvrir, mais ces expositions, quand elles ne sont pas des coquilles vides de toute réflexions sur le statut social, politique, économique des femmes artistes, participent plus à une ghettoïsation des femmes artistes - que l’on exposerait toujours entre elles sous prétexte que ce sont des femmes - plutôt qu’à leur reconnaissance au sein de l’histoire de l’art. Ces expositions de femmes artistes étaient nécessaires[9] au 19ème et 20ème siècle quand leur place n’était encore pas du tout reconnue, mais maintenant, il faut que les musées du 21ème siècle s’attaquent à étudier l’œuvre de ces femmes individuellement, comme des artistes à part entières.
[1]19 mai au 25 juillet 2021, musée du Luxembourg, Paris.
[2] 2 mars au 10 juillet 2022, musée du Luxembourg, Paris.
[3] 11 décembre 2022 au 21 mai 2023, Palais Lumière d’Évian.
[4] Je tiens cette information d’Eva Belgherbi, de qui j’ai assisté à la visite Midi-Regard de l’exposition le 19 janvier 2024 à 12h30 au PBA.
[5] Camille Belveze et Alice Fleury (dir.), Où sont les femmes ? Enquête sur les artistes femmes du musée, catalogue d’exposition, 20 octobre 2023 au 11 mars 2024, Palais des Beaux-Arts de Lille, Lille, Editions Invenit, 2023.
[6] Sur les musées féministes, lire : Association musé⋅e⋅s (dir.), Guide pour un musée féministe. Quelle place pour le féminisme dans les musées français ?, Rennes, Association musé⋅e⋅s, 2022.
[7] Sur le sujet des expositions à l’accrochage féministe, lire : Eva Belgherbi, "“Peintres femmes, naissance d’un combat (1780-1830)” – quand les œuvres ne suffisent plus", un carnet genre et histoire de l'art, 09/05/2021, consulté le 10/02/2024, URL: https://ghda.hypotheses.org/1580
[8] Eva Belgherbi, "Don’t Stop Believing. Le “monde d’après” [sic], les artistes femmes et les musées.", publié sur un carnet genre et histoire de l'art, le 10/05/2020, consulté le [date de consultation], URL https://ghda.hypotheses.org/1061
[9] Sur la nécessité ou non des expositions de femmes artistes en 2024, lire : Eva Belgherbi, "Expositions de femmes artistes en France : stop ou encore ?", publié sur un carnet genre et histoire de l'art, le 06/04/2021, consulté le [date de consultation], URL https://ghda.hypotheses.org/1447
Bibliographie et webographie
- Association musé⋅e⋅s (dir.), Guide pour un musée féministe. Quelle place pour le féminisme dans les musées français ?, Rennes, Association musé⋅e⋅s, 2022.
- Eva Belgherbi, un carnet genre et histoire de l'art, URL : https://ghda.hypotheses.org/
- Camille Belvèze et Alice Fleury (dir.), Où sont les femmes ? Enquête sur les artistes femmes du musée, catalogue d’exposition, 20 octobre 2023 au 11 mars 2024, Palais des Beaux-Arts de Lille, Lille, Editions Invenit, 2023.