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Restitution d'objets culturels : Les Pays-Bas renvoient des trésors à l'Indonésie et au Sri Lanka, un tournant historique

Après des siècles d'oppression et de pillage, une politique de restitution des objets culturels se met en place au XXIe siècle. Dans ce contexte, le gouvernement néerlandais a récemment décidé de restituer 478 objets de l'époque coloniale à l’Indonésie et au Sri Lanka. Cette décision constitue un tournant historique, une étape significative vers la reconnaissance et la réconciliation.

Article de Lorine C.

Regarder en arrière pour aller de l'avant : Retour sur le Passé Colonial Néerlandais

L'esclavage, un chapitre sombre de l'histoire, s'est intensifié avec la colonisation du Nouveau Monde. Au XVIe siècle, le commerce triangulaire débute, propulsant l'esclavage à son apogée, les Néerlandais étant parmi les premiers à recourir aux esclaves en 1630 lors de la conquête d'une partie du Brésil Portugais. L'abolition de l'esclavage aux Pays-Bas n'interviendra qu'en 1863, soulignant le rôle majeur des Néerlandais avec sept colonies à leur apogée. La Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC), fondée en 1602, marque le début du troisième plus grand empire colonial. Cette ère, appelée le Siècle d'Or néerlandais (1579-1702), voit les Pays-Bas devenir la première puissance commerciale mondiale, marquée par la signature du Traité d'Utrecht. Cette époque est jalonnée de bouleversements historiques : guerres et rivalités politiques sont au programme, mais le pays connaît une période d’accalmie avec la dissipation des tensions religieuses, devenant un pays d'accueil et de tolérance pour les savants, les poètes, les philosophes et les artistes. Cependant, le XIXe siècle voit une nouvelle vague de colonialisme fondée sur la supériorité militaire induite par la révolution industrielle, avec la conquête intégrale de l'Insulinde, l'actuelle Indonésie. Le paradigme est frappant car la colonisation régionale coïncide avec une période de neutralité politique métropolitaine. Cette neutralité politique est mise à bat par l’invasion allemande le 10 mai 1940. Les Néerlandais déclarent la guerre au Japon pour maintenir le contrôle colonial pendant l'occupation des Pays-Bas. La guerre d'indépendance de l'Indonésie s'ensuit, marquée par des "actions de police", culminant en 1949 avec l'indépendance de l'Indonésie. Pendant trois siècles de colonisation, les Pays-Bas enrichissent leurs musées d'objets provenant du monde entier, issus parfois de transactions discutables.

Naissance d’une politique de restitution des objets culturels au XXIème siècle

Une politique de restitution des objets culturels se met en place au XXIe siècle. En 2017, le NMVW a entamé le  processus de retour des œuvres culturelles, celui-ci prendra une nouvelle dimension après la publication du document “Return of Cultural Objects: Principles and Process (2019)”. Le musée s'engage à étudier avec transparence, les demandes de restitutions des objets culturels. Un travail de longue haleine qui nécessite des recherches approfondies en témoigne Wayne Modest, du Musée National des Cultures du Monde : "Nous examinerons les diverses voies empruntées par les objets pour entrer dans les musées : ont-ils été vendus sous la contrainte ou pillés en temps de guerre, échangés ou offerts en cadeau, et si oui, était-ce dans un contexte colonial ? - Nous examinerons également comment décider ensemble du futur d'un objet et s'il existe différents modes de retour possibles, et enfin, il s'agit de réconciliation : comment les modes de retour ou de restitution nous aident-ils à nous réconcilier avec le passé ?”.

Pays colonisés et État colonisateur en dialogue : 478 objets rendus à l'Indonésie

Dans ce contexte, le gouvernement néerlandais a récemment annoncé sa décision de restituer 478 objets de l'époque coloniale à l'Indonésie et au Sri Lanka. Cette démarche, qualifiée d’"historique" par Günü Us Lay, secrétaire d'État néerlandaise à la Culture, marque la première fois que des objets, identifiés par la Commission aux collections coloniales, sont renvoyés vers leurs pays d'origine. Parmi ces objets, le "Trésor de Lombok", composé de centaines d'objets en or et en argent, ainsi que diverses statues et artefacts historiques, dont une statue de Ganesh dérobée en 1802 par les colons hollandais sur l'île de Java. Ils font partie des œuvres que les Pays-Bas s'engagent à restituer, répondant ainsi à une demande formulée par l'Indonésie. Le dialogue entre l'équipe de rapatriement indonésienne et le Comité hollandais pour le retour des objets culturels coloniaux a été crucial pour parvenir à cet accord. Deux critères ont été établis pour la restitution : les objets saisis dans un contexte d'injustice historique, par la force ou le pillage, et ceux considérés comme importants pour leur pays d'origine. Hilmar Farid, directeur des affaires culturelles indonésiennes, souligne la nécessité d'un processus réfléchi en matière de rapatriement, tirant des leçons des expériences précédentes, notamment celles de la France avec la restitution de pièces de musées provenant des anciennes colonies africaines.

Les Pays-Bas ont également engagé un processus complexe de rapatriement d'objets coloniaux vers le Sri Lanka, comprenant le "Canon de Lewke", un artefact du XVIIIe siècle. Ayant probablement été un butin de guerre en 1765 après un siège hollandais et la destruction du Temple de Kandy, ce canon avait trouvé place dans la collection du Rijksmuseum à Amsterdam. Le directeur du musée, Taco Dibbits, s'est félicité de cette restitution comme d'une "étape positive dans la coopération avec le Sri Lanka".

En résumé, les Pays-Bas prennent des mesures significatives pour rectifier les injustices du passé colonial, ouvrant ainsi la voie à une coopération internationale plus réfléchie en matière de restitution d'objets culturels. Comme le disait l’historien américain, James Clifford lors d’une conférence en 2007 : « Ce ne sont pas les cultures qui dialoguent, mais les hommes, dont les échanges sont conditionnés par des histoires particulières de contacts, de rapports de force, des réciprocités individuelles, des formes de voyage, d’accès et de compréhension ». Ainsi, le musée n'est pas le lieu où dialoguent les cultures, mais où les êtres humains dialoguent entre eux, partagent leur histoire, où s'esquissent les enjeux politiques, diplomatiques et historiques. Les institutions muséales sont au centre de ces relations, ils occupent une place fondamentale dans ces dialogues : discours coloniaux ou postcoloniaux, restitution d’objets, traitement de la mémoire. Ils abritent, les artefacts seuls témoins des traces du passé, ils sont les gardiens de la mémoire de l’humanité. A ce titre, les musées constituent un outil majeur dans la lutte contre la discrimination raciale :“Des siècles d'oppression et d'exploitation affectent le présent, dans les stéréotypes racistes, la discrimination et l'inégalité sociale[1]”. Rappelons qu’il existe encore environ 10 millions d’esclaves dans le monde.

[1]. Les excuses officielles de Mark Rutte pour le passé colonial et esclavagiste des Pays-Bas, le 19 décembre 2022. URL: https://www.lepoint.fr/monde/les-pays-bas-presentent-des-excuses-officielles-pour-l-esclavage-19-12-2022-2502311_24.php

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