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La patrimonialisation du jeu vidéo

Agé seulement de 50 ans, le jeu vidéo est, sans conteste, le plus jeune des arts. En effet, le premier jeu populaire et produit à grande échelle est Pong, sorti à l’été 1972. Pourtant, sa classification en tant qu’art à part entière est très récente : en France, le 10e art, regroupant jeu vidéo, infographie et webdesign, est reconnu officiellement par le Ministère de la Culture en 2006. La question des contraintes liées à la patrimonialisation d’un art aussi récent peut donc se poser.

Un article de Romain Rouxel

Les premières actions en faveur de la conservation du jeu vidéo apparaissent dès la fin des années 80, venant de passionnés qui souhaitent transmettre leur passion le plus longtemps possible. Ils conservent chez eux les consoles et en prennent soin du mieux qu’ils le peuvent. Cette pratique perdure encore aujourd’hui, et prend la forme des salles d’arcade tenues par des associations. C’est le cas par exemple d’Atom City à Lille, qui met à disposition de nombreuses bornes (la plupart d’origine) et qui s’occupe de la maintenance de celles-ci. Avec l’arrivée d’Internet, de nombreux sites d’amateurs se créent pour partager leurs connaissances techniques et améliorer les efforts de conservation, mais également pour diffuser leurs savoirs sur les consoles et les jeux.

Au niveau institutionnel en France, la politique de conservation du jeu vidéo commence en 1992, lorsque la Bibliothèque Nationale de France (BNF) étend le dépôt légal aux consoles et jeux vidéo, obligeant ainsi les éditeurs de jeu et les fabricants de consoles français comme étrangers à fournir un exemplaire de leur jeu ou de leur console dès leur sortie.  Ainsi, la BNF récupère chaque année plus de mille titres, et, pour cette raison, peut être considérée comme le musée le plus important du jeu vidéo de France. Il est néanmoins le seul car il n’existe actuellement aucun Musée du Jeu Vidéo à proprement parler. Une seule tentative d’en créer un a lieu en avril 2010, à la suite de l’exposition « 30 ans de rétrogaming » organisée par l’agence de publicité Alerte Orange en 2009. Souhaitant conserver et exposer de façon permanente la collection acquise, l’agence crée le musée et l’installe au sommet de l’Arche de la Défense, dans les Hauts-de-Seine. Après seulement 10 jours d’existence, le musée ferme pour cause de panne d’ascenseur, et ne rouvre jamais. Entre temps, le Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie y a installé ses locaux. L’agence ne donne plus aucune nouvelle concernant une possible réouverture du musée ailleurs.

Le jeu vidéo étant soumis à des contraintes de matériel technologique, la problématique d’obsolescence se présente. Les consoles de salon sont classées par génération, dépendamment des avancées technologiques. Actuellement, les consoles « Playstation 5 » et « Xbox Series » sont les premières de la 9e génération. Les précédentes, dépassées techniquement, sont donc délaissées par les supports techniques des constructeurs. La production des composants est arrêtée, ce qui restreint la possibilité de les réparer. De plus, la logique commerciale primant dans l'industrie du jeu vidéo, ses acteurs sont concentrés vers les générations futures ce qui entraîne de nombreuses pertes, les anciens matériels et logiciels ne leur étant plus d’utilité.

Cette conservation du matériel d’origine est capitale pour préserver toute l’expérience ludique du jeu vidéo. En effet, un jeu n’est pas fait pour être regardé, comme peut l’être la peinture ou la sculpture, mais pour être joué, pour être vécu. Afin de préserver les sensations et l’immersion du jeu, il est indispensable de pouvoir y jouer sur la console et sur l’écran pour lesquels le jeu était destiné : les appareils informatiques plus modernes et leurs performances bien supérieures ne permettant pas de reproduire fidèlement l’expérience. Néanmoins, permettre aux visiteurs de manipuler les consoles de jeu originales pose le problème de l’usure accélérée par une utilisation intensive. La solution de la sauvegarde digitale est une alternative intéressante mais loin d’être satisfaisante. En effet, elle permet de s’affranchir des contraintes d’un matériel dépassé irréparable et de son usure (à condition que la sauvegarde soit placée sur du matériel récent et entretenu), ainsi que des problématiques de stockage. Cependant, la sauvegarde digitale ne permet pas la restitution fidèle de l’expérience de jeu.

La solution actuellement privilégiée pour répondre à la problématique de conservation du jeu vidéo mélange sauvegarde digitale et sauvegarde physique, et vient des acteurs privés. D’un côté, les éditeurs, ayant perçu le potentiel commercial, republient leurs anciens jeux, soit par un simple portage (adaptation du jeu aux nouvelles technologies sans en modifier le fond ou la forme), soit par des rééditions, améliorant les graphismes avec des versions HD ou recréant entièrement le jeu en gardant l’histoire, la direction artistique et le gameplay mais en utilisant les moyens les plus récents. Cette solution permet à tous de pouvoir jouer aux anciens jeux, mais renonce à l’immersion totale du support d’origine. D’un autre côté, des associations de passionnés et des entreprises privées ayant une collection de jeux et de consoles, se déplacent dans des conventions et des salons et offrent aux visiteurs l’expérience originale. Cela permet de proposer à ceux qui le veulent une immersion semblable à celle d’origine, tout en limitant l’usure seulement aux jours de convention.

De plus en plus, le jeu vidéo commence à faire son entrée dans les musées :

  • Cette année, le 8e Open Museum (du 13 avril au 25 septembre 2023) organisé par le Palais des Beaux-Arts de Lille est dédié au jeu-vidéo. Le musée a travaillé en collaboration avec deux éditeurs français, Ankama et Spiders, pour créer un parcours mêlant expérience interactive et découverte artistique au sein même du parcours muséal, le visiteur devenant un véritable acteur du jeu.

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