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L’acquisition d’un Ecce Homo pour la rénovation du Palais des Beaux-Arts : un tableau qui ne paie pas de mine ?

À l’occasion de la rénovation des galeries médiévales et Renaissance entre 2020 et 2022, le Palais des Beaux-Arts a enrichi sa collection par l’acquisition d’un tableau flamand du début du XVIe siècle pour près de 60 000€ auprès de la maison d’enchères parisienne Tajan. Retour sur une acquisition d’exception.

Article de Fabien Mignot

Nous sommes en 2016, le Palais des Beaux-Arts édite un document fondamental pour les dix années suivantes : le Projet Scientifique et Culturel, le « PSC ». Qu’est-ce que c’est ? C’est avant tout un document stratégique, un document de planification qui définit l’identité du musée, ses orientations et ses grands chantiers. Ici, il concerne la période 2017-2027 et intègre un chantier monumental : la rénovation des galeries du sous-sol du musée, les galeries médiévales et Renaissance, sous la direction de la conservatrice Sophie Dutheillet de Lamothe. Censé débuter à la fin 20191, le chantier accuse d’un certain retard et démarre à la fin 2020. Près d’un million d’euros plus tard, les galeries rouvrent leurs portes dès l’été 2022, dans l’effervescence générale2.

Le visiteur habitué, déambulant dans ces galeries rénovées remarquera de nombreuses nouvelles œuvres, presque toutes sorties des réserves ou prêtées à long terme par des institutions. Toutefois, ce même visiteur remarquera aussi un petit panneau, une huile sur bois encadrée richement : l’Ecce Homo du Maître du Triptyque de Salomon de La Haye (parfois désigné comme Maître de Salomon de La Haye ou encore Maître du Triptyque de Salomon), une œuvre récemment acquise par le musée. L’œuvre s’adjoint à la collection, déjà bien dotée, de peintures flamandes des XVe et XVIe siècles, et d’un groupe de peintres méconnus : les maniéristes anversois.

Le maniérisme anversois, c’est un moment oublié de l’histoire de la peinture flamande, un fragment éclipsé, pris en tenaille entre la grandeur des « Primitifs flamands » et le Siècle d’Or flamand. Nous sommes au début du XXe siècle, quand Max Friedländer, grand connaisseur de la peinture flamande, s’intéresse à ces peintres. Il en propose la première somme qui réunit un corpus de plus de 300 œuvres3. Malheureusement, la majeure partie de ces peintres sont anonymes, et Friedländer regroupe leurs œuvres à partir de leurs styles. Pourtant, le registre de la guilde de Saint-Luc d’Anvers (la guilde des peintres) contient l’intégralité des noms des peintres d’Anvers mais, les peintres ne signant pas leurs œuvres, impossible de relier ces tableaux à des noms. Friedländer crée alors des personnalités à nom de convention, comme le Maître de l’Adoration d’Anvers, le Maître de 1518 ou encore le Maître de l’Adoration de Milan. Parmi ces noms, on retrouve celui qui nous intéresse : le Maître du Triptyque de Salomon de La Haye, nommé ainsi d’après un triptyque conservé au musée Mauritshuis de La Haye.

De tous les peintres anonymes identifiés par Friedländer, le Maître de Salomon de La Haye est parmi les plus énigmatiques. Son œuvre phare, le Triptyque de Salomon aurait vraisemblablement été commanditée après 1521 par un seigneur de Stavenisse, un village de Zélande, comme l’indiquent les armoiries. Le triptyque est d’une grande finesse, et le talent du maître rivalise avec celui des plus grands de son époque, avec Jan de Beer ou encore Cornelis Engebrechtsz. Pourtant, le nom du peintre nous échappe. Son style le relie indéniablement aux peintures anversoise et leydoise du début du XVIe siècle, dans son extravagance, son coloris, son dessin, ses formes. Alors que le Palais des Beaux-Arts (et Max Friedländer) estiment que le peintre est originaire d’Anvers, Tajan, Peter van den Brink et le Mauritshuis y voient plutôt un peintre originaire de Zélande.

Friedländer n’était en mesure de relier au peintre que deux volets de triptyque, une Nativité et une Présentation au temple, qui disparaissaient plus tard sur le marché de l’art. À l’heure actuelle le RKD, sorte d’équivalent néerlandais à notre INHA français, ne recense que trois œuvres du maître : le triptyque de La Haye, les volets évoqués par Friedländer et un volet figurant un roi mage4. À notre connaissance, le Maître du Triptyque de Salomon est une certaine énigme pour l’histoire de l’art, incapable de lui offrir un corpus plus conséquent, incapable de lui attribuer d’autres œuvres, en dépit de son talent.

Ainsi, alors que les tableaux du maître sont plus que rares, le Palais des Beaux-Arts a été en mesure de s’offrir un Ecce Homo, attribué au maître. La maison d’enchères Tajan avait fait appel à Peter van den Brink pour l’attribution et la rédaction d’une note sur l’œuvre5, et le Palais des Beaux-Arts à Cécile Scailliérez pour la rédaction de la notice de l’œuvre sur leur site6. Tous deux sont spécialistes de ce type de peintures : Peter van den Brink avait même co-organisé l’exposition ExtravagAnt. A Forgotten Chapter of Antwerp Painting, à Anvers et Maastricht en 2004 et 20057, la seule exposition monographique du maniérisme anversois.

 

De fait, le Palais des Beaux-Arts dispose, dans sa collection, de la deuxième œuvre connue du maître dans les collections publiques. Peut-être cette acquisition aidera et motivera une recherche pour mieux connaître le peintre, d’autres œuvres seront peut-être identifiées grâce à cette œuvre. Des points restent toutefois à élucider. Dans sa notice de l’œuvre, Cécile Scailliérez indique que le tableau serait passé par les mains de Jef van der Veken, grand restaurateur de la peinture flamande… mais aussi grand faussaire et grand copiste.

1 Le PSC du musée est accessible à l’adresse suivante : pba.lille.fr/content/download/3583/42515/file/PSC+PBA+digest.pdf [consulté le 24 jan. 2023].

2 Antoine Placer, « Lille: au palais des Beaux-Arts, le département Moyen Âge et Renaissance totalement dépoussiéré », La Voix du Nord, 24 juin 2022 [en ligne : lavoixdunord.fr/1197149/article/2022-06-24/lille-au-pba-le-departement-moyen-age-et-renaissance-totalement-depoussiere]

3 Max J. Friedländer, Early Netherlandish Painting, T. I-XV, Leyde, A. W. Sijthoff, Bruxelles, La Connaissance, 1967-76 [prem éd., Berlin-Leyden, 1924-1937].

4 rkd.nl/nl/explore/images#filters[kunstenaar]=Meester+van+de+Triptiek+van+Salomo [consulté le 24 jan. 2023].

5 tajan.com/auction-lot/maitre-du-triptyque-salomon-actif-en-zelande-ver_B364E1E9B2 [consulté le 24 jan. 2023].

6 pba-opacweb.lille.fr/fr/notice/2021-3-1-ecce-homo-45e742e4-d20b-4eb7-9f4e-96c515db7225 [consulté le 24 jan. 2023].

7 Kristin Lohse Belkin (éd.), Nico Van Hout (éd.), ExtravagAnt. A forgotten chapter of Antwerp painting. 1500-1530, cat. exp. Anvers, Koninklijk Museum voor Schoone Kunsten, Maastricht, Maastricht, Bonnefanten Museum, Schoten, BAI, 2005.

  • Elizabeth A. H. Cleland (dir.), Grand Design: Pieter Coecke van Aelst and Renaissance Tapestry, cat. exp. New York, Metropolitan Museum of Art, New York, Metropolitan Museum of Art, 2014.

  • Dan Ewing, Peter Van den Brink, Robert Wenley, « Truly Bright and Memorable » Jan de Beer’s Renaissance Altarpieces, cat. exp. Birminghan, The Barber Institute of Fine Arts, Birmingham, The Barber Institute of Fine Arts, 2019.

  • Susan Frances Jones (dir.), Van Eyck to Gossaert. Towards a Northern Renaissance, cat. exp. Londres, National Gallery, Londres, Yale University Press, 2011.

  • Kristen Lohse Belkin (éd.), Nico Van Houte (éd.), ExtravagAnt. A forgotten chapter of Antwerp painting. 1500-1530, cat. exp. Anvers, Koninklijk Museum voor Schoone Kunsten, Maastricht, Maastricht, Bonnefanten Museum, Schoten, BAI, 2005. [Disponible à la bibliothèque Michelet de l’Université de Lille, Campus Pont-de-Bois]

  • Cécile Scailliérez (dir.), François Ier et l’art des Pays-Bas, cat. exp. Paris, Musée du Louvre, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 2017. [Disponible à la bibliothèque Michelet de l’Université de Lille, Campus Pont-de-Bois]