Le patrimoine, un secteur en manque de financement
Pour explorer cette thématique, penchons-nous sur l'exemple concret d'Amiens et de l'église du Sacré-Coeur.
Article de Enora Le Biller
La ville d’Amiens regorge de monuments tous plus remarquables les uns que les autres mais, pour la plupart, dans un état de délabrement assez avancé. Le premier constat qui nous vient lorsque l’on visite l’église du Sacré-Cœur d’Amiens, c’est qu’il s’agit d’un édifice tout à fait intéressant avec des travaux artistiques saisissants mais dont la restauration devient impérative.
L’enquête réalisée pour l’inventaire des Hauts de France par Nathalie Mette en 1996, puis amplifiée par Isabelle Barbedor en 2002, met en évidence que l’édifice se trouve dans un mauvais état de conservation. Il souffre de nombreuses infiltrations d’eau qui ont, entre autres, fortement détérioré la fresque du chœur réalisée par Gustave Riquet.
D’après l’archiviste diocésain, Aurélien André, cet état de dégradation aurait été initié par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Ces derniers ont fortement endommagé la couverture de l’église ainsi que sa coupole et ses vitraux. L’intérieur de la construction a pendant longtemps été privé de toute protection face aux intempéries et la pluie a infiltré les murs. Si les dossiers d’archives traitant des dommages de guerre1 gardent des traces de la réfection des vitraux ainsi que de la coupole, il n’est pas question d’une restauration de la fresque de Riquet. Cet élément, n’est pas le seul à attester de l’état de détérioration de l’église du Sacré-Coeur. En effet, le dallage de l’édifice aurait besoin d’importants travaux afin de le remettre en état, les dalles sont cassées à de nombreux endroits et le sol semble également s’affaisser. Le Sacré-Cœur d’Amiens a été construit sur un terrain marécageux il n’est donc pas solide, ce qui favorise ce type de problème. À cela s’ajoute un besoin d’isolation, dû aux infiltrations d’eau, ainsi qu’un manque de luminosité flagrant, l’intérieur n’étant illuminé que par le biais de la lumière naturelle.
L’ampleur des travaux étant important et nécessitant le travail de nombreux spécialistes, il est peu probable que cela soit résolu tant que le bâtiment n’obtiendra pas de protection de l’État et ainsi, une subvention permettant de financer un tel chantier. Telle est la réalité des monuments anciens comme l’église du Sacré-Cœur, ils sont nombreux à attendre un classement synonyme d’une meilleure protection.
Un bâtiment communal, tout ancien qu’il soit, est dépendant de sa mairie de secteur pour tous les travaux inférieurs à 90 000 euros. Or, cette mairie doit répartir son budget entre les bâtiments anciens, les locaux administratifs, les écoles et autres biens communaux. Entre un édifice ancien qui n’a plus une réelle utilité, outre sa valeur patrimoniale, et un bâtiment servant à accueillir des habitants tous les jours, le choix d'investissement est probablement vite fait. Les bâtiments anciens sont également régis par la Direction de l’Immobilier et du Logement (DIL) qui se charge notamment de tous les travaux supérieurs à 90 000 euros. Sachant que deux acteurs sont définis afin de gérer le bien, on peut se demander pourquoi l’église du Sacré-Cœur est donc dans cet état. Un entretien avec Émilie Messiaen, directrice déléguée au patrimoine de la ville d’Amiens, a permis d’apporter des réponses à cette interrogation. Le budget relatif à l’entretien des bâtiments anciens est extrêmement restreint. Ce faisant, il est essentiellement centré sur les édifices classés au titre de Monuments Historiques. Ceci étant, même les bâtiments classés ont été soumis à un choix afin de répartir les sommes allouées. Seuls deux édifices sur les quinze classés, l’église Saint-Rémi et l’église Saint-Germain, ont eu le privilège d’être retenus pour d’importants chantiers de rénovation. Cette réalité vient donc expliquer l’absence de démarche pour l’église du Sacré-Cœur au niveau de la DIL.
Il paraît intéressant de mettre en évidence que si le budget communal n’est pas principalement orienté vers les bâtiments anciens, ce n’est pas non plus les subventions de l’État qui permettront de réhabiliter ces édifices. En effet, chaque année l’État consacre 320 millions d’euros au patrimoine bâti du pays mais ce budget est entièrement alloué « à la restauration des immeubles et objets mobiliers protégés au titre des monuments historiques2 ». Pour qu’un édifice patrimonial soit pris en compte en matière de restauration et d’entretien, il doit donc être obligatoirement classé ou inscrit, que ce soit au niveau de l’institution communale ou à l’échelle de l’État. Cela peut être vu comme une façon de réguler les subventions afin qu’elles soient réparties sur des édifices au caractère patrimonial prioritaire. Ceci étant, le traitement de ces dossiers de classement est si long que certains édifices, comme l’église du Sacré-Cœur, pourraient finalement ne recevoir l’aide nécessaire que lorsqu’il sera trop tard. Une demande de protection au titre des Monuments Historiques a été émise pour l’église le 28 mai 2015 par Brigitte Stimolo, conservatrice des antiquités et objet d’art de France. Le 17 novembre 2015, la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites a émis un avis favorable à l’instruction du dossier qui est, depuis lors, inscrit à l’ordre du jour. Aujourd’hui, l’édifice n’a toujours pas reçu le statut de Monument Historique et attend toujours sa date pour le passage en Commission Régionale du Patrimoine et de l’Architecture. Ce classement n’est pas le seul à prendre du temps dans la ville d’Amiens, l’église Saint-Honoré attend depuis presque quinze ans et tend à être le prochain édifice amiénois à obtenir ce statut.